Poems by René Char
Donnerbac Muhle
Hiver 1939
Novembre de brumes, entends sous le bois la cloche du dernier sentier franchir
le soir et disparaître
le vÏu lointain du vent séparer le retour dans les fers de
l'absence qui passe.
Saison d'animaux pacifiques, de filles sans méchanceté, vous détenez
des pouvoirs que mon pouvoir contredit ; vous avez les yeux de mon nom, ce nom
qu'on me demande d'oublier.
Glas d'un monde trop aimé, j'entends les monstres qui piétinent
sur une terre sans sourire. Ma sÏur vermeille est en sueur. Ma sÏur furieuse
appelle aux armes.
La lune du lac prend pied sur la plage où le doux feu végétal de
l'été descend à la vague qui l'entraîne vers un lit de profondes cendres.
Tracée par le canon,
- vivre, limite immense -
la maison dans la forêt s'est allumée :
Tonnerre, ruisseau, moulin.
Le visage nuptial
À présent disparais, mon escorte, debout dans la distance ;
La douceur du nombre vient de se détruire.
Congé à vous, mes alliés, mes violents, mes indices.
Tout vous entraîne, tristesse obséquieuse.
J'aime.
L'eau est lourde à un jour de la source.
La parcelle vermeille franchit ses lentes branches à ton front, dimension
rassurée.
Et moi semblable à toi,
Avec la paille en fleur au bord du ciel criant ton nom,
J'abats les vestiges,
Atteint, sain de clarté.
Ceinture de vapeur, multitude assouplie, diviseurs de la crainte, touchez ma
renaissance.
Parois de ma durée, je renonce à l'assistance de ma largeur vénielle ;
Je boise l'expédient du gîte, j'entrave la primeur des survies.
Embrasé de solitude foraine,
J'évoque la nage sur l'ombre de sa Présence.
Le corps désert, hostile à son mélange, hier, était revenu parlant noir.
Déclin, ne te ravise pas, tombe ta massue de transes, aigre sommeil.
Le décolleté diminue les ossements de ton exil, de ton escrime ;
Tu rends fraîche la servitude qui se dévore le dos ;
Risée de la nuit, arrête ce charroi lugubre
De voix vitreuses, de départs lapidés.
Tôt soustrait au flux des lésions inventives
(La pioche de l'aigle lance haut le sang évasé)
Sur un destin présent j'ai mené mes franchises
Vers l'azur multivalve, la granitique dissidence.
Ô voûte d'effusion sur la couronne de son ventre,
Murmure de dot noire !
Ô mouvement tari de sa diction !
Nativité, guidez les insoumis, qu'ils découvrent leur base,
L'amande croyable au lendemain neuf.
Le soir a fermé sa plaie de corsaire où voyageaient les fusées vagues parmi
la peur soutenue des chiens.
Au passé les micas du deuil sur ton visage.
Vitre inextinguible : mon souffle affleurait déjà l'amitié de ta blessure,
Armait ta royauté inapparente.
Et des lèvres du brouillard descendit notre plaisir au seuil de dune, au toit
d'acier.
La conscience augmentait l'appareil frémissant deta permanence ;
La simplicité fidèle s'étendit partout.
Timbre de la devise matinale, morte saison de l'étoile précoce,
Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé.
Assez baisé le crin nubile des céréales :
La cardeuse, l'opiniâtre, nos confins la soumettent.
Assez maudit le havre des simulacres nuptiaux :
Je touche le fond d'un retour compact.
Ruisseaux, neume des morts anfractueux,
Vous qui suivez le ciel aride,
Mêlez votre acheminement aux orages de qui sut guérir de la désertion,
Donnant contre vos études salubres.
Au sein du toit le pain suffoque à porter cr et lueur.
Prends, ma Pensée, la fleur de ma main pénétrable,
Sens s'éveiller l'obscure plantation.
Je ne verrai pas tes flancs, ces essaims de faim, se dessécher, s'emplir de
ronces ;
Je ne verrai pas l'empuse te succéder dans ta serre ;
Je ne verrai pas l'approche des baladins inquiéter le jour renaissant ;
Je ne verrai pas la race de notre liberté servilement se suffire.
Chimères, nous sommes montés au plateau.
Le silex frissonnait sous les sarments de l'espace ;
La parole, lasse de défoncer, buvait au débarcadère angélique.
Nulle farouche survivance :
L'horizon des routes jusqu'à l'afflux de rosée,
L'intime dénouement de l'irréparable.
Voici le sable mort, voici le corps sauvé :
La Femme respire, l'Homme se tient debout.