Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Epanouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t'ai croisé rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N'oublie pas Un homme sous un porche s'abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t'es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m'en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j'aime Même si je ne les ai vus qu'une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s'aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N'oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l'arsenal Sur le bateau d'Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.
Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout Contre les portes de la nuit Et les passants qui passent les désignent du doigt Mais les enfants qui s'aiment Ne sont là pour personne Et c'est seulement leur ombre Qui tremble dans la nuit Excitant la rage des passants Leur rage leur mépris leurs rires et leur envie Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit Bien plus haut que le jour Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour.
Il dit non avec la tête mais il dit oui avec le coeur il dit oui à ce qu'il aime il dit non au professeur il est debout on le questionne et tous les problèmes sont posés soudain le fou rire le prend et il efface tout les chiffres et les mots les dates et les noms les phrases et les pièges et malgré les menaces du maître sous les huées des enfants prodiges avec des craies de toutes les couleurs sur le tableau noir du malheur il dessine le visage du bonheur.
Il n'avait peur de personne Il n'avait peur de rien Mais un matin un beau matin Il croit voir quelque chose Mais il dit Ce n'est rien Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Ce n'était rien Mais le matin ce même matin Il croit entendre quelqu'un Et il ouvrit la porte Et il la referma en disant Personne Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Il n'y avait personne Mais soudain il eut peur Et il comprit qu'il était seul Mais qu'il n'était pas tout seul Et c'est alors qu'il vit Rien en personne devant lui.
Cet amour Si violent Si fragile Si tendre Si désespéré Cet amour Beau comme le jour Et mauvais comme le temps Quand le temps est mauvais Cet amour si vrai Cet amour si beau Si heureux Si joyeux Et si dérisoire Tremblant de peur comme un enfant dans le noir Et si sûr de lui Comme un homme tranquille au millieu de la nuit Cet amour qu faisait peur aux autres Qui les faisait parler Qui les faisait blêmir Cet amour guetté Parce que nous le guettions Traqué blessé piétiné achevé nié oublié Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié Cet amour tout entier Si vivant encore Et tout ensoleillé C’est le tien C’est le mien Celui qui a été Cette chose toujours nouvelle Et qui n’a pas changé Aussi vrai qu’une plante Aussi tremblante qu’un oiseau Aussi chaude aussi vivant que l’été Nous pouvons tous les deux Aller et revenir Nous pouvons oublier Et puis nous rendormir Nous réveiller souffrir vieillir Nous endormir encore Rêver à la mort, Nous éveiller sourire et rire Et rajeunir Notre amour reste là Têtu comme une bourrique Vivant comme le désir Cruel comme la mémoire Bête comme les regrets Tendre comme le souvenir Froid comme le marble Beau comme le jour Fragile comme un enfant Il nous regarde en souriant Et il nous parle sans rien dire Et moi je l’écoute en tremblant Et je crie Je crie pour toi Je crie pour moi Je te supplie Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment Et qui se sont aimés Oui je lui crie Pour toi pour moi et pour tous les autres Que je ne connais pas Reste là Lá où tu es Lá où tu étais autrefois Reste là Ne bouge pas Ne t’en va pas Nous qui sommes aimés Nous t’avons oublié Toi ne nous oublie pas Nous n’avions que toi sur la terre Ne nous laisse pas devenir froids Beaucoup plus loin toujours Et n’importe où Donne-nous signe de vie Beaucoup plus tard au coin d’un bois Dans la forêt de la mémoire Surgis soudain Tends-nous la main Et sauve-nous.
Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il s'est levé Il a mis Son chapeau sur sa tête Il a mis Son manteau de pluie Parce qu'il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j'ai pris Ma tête dans ma main Et j'ai pleuré.
Le désespoir est assis sur un banc Dans un square sur un banc Il y a un homme qui vous appelle quand on passe Il a des binocles un vieux costume gris Il fume un petit ninas il est assis Et il vous appelle quand on passe Ou simplement il vous fait signe Il ne faut pas le regarder Il ne faut pas l'écouter Il faut passer Faire comme si on ne le voyait pas Comme si on ne l'entendait pas Il faut passer et presser le pas Si vous le regardez Si vous l'écoutez Il vous fait signe et rien personne Ne peut vous empêcher d'aller vous asseoir près de lui Alors il vous regarde et sourit Et vous souffrez attrocement Et l'homme continue de sourire Et vous souriez du même sourire Exactement Plus vous souriez plus vous souffrez Atrocement Plus vous souffrez plus vous souriez Irrémédiablement Et vous restez là Assis figé Souriant sur le banc Des enfants jouent tout près de vous Des passants passent Tranquillement Des oiseaux s'envolent Quittant un arbre Pour un autre Et vous restez là Sur le banc Et vous savez vous savez Que jamais plus vous ne jouerez Comme ces enfants Vous savez que jamais plus vous ne passerez Tranquillement Comme ces passants Que jamais plus vous ne vous envolerez Quittant un arbre pour un autre Comme ces oiseaux.
Il est terrible le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim elle est terrible aussi la tête de l'homme la tête de l'homme qui a faim quand il se regarde à six heures du matin dans la glace du grand magasin une tête couleur de poussière ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde dans la vitrine de chez Potin il s'en fout de sa tête l'homme il n'y pense pas il songe il imagine une autre tête une tête de veau par exemple avec une sauce de vinaigre ou une tête de n'importe quoi qui se mange et il remue doucement la mâchoire doucement et il grince des dents doucement car le monde se paye sa tête et il ne peut rien contre ce monde et il compte sur ses doigts un deux trois un deux trois cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé et il a beau se répéter depuis trois jours Ça ne peut pas durer ça dure trois jours trois nuits sans manger et derrière ces vitres ces pâtés ces bouteilles ces conserves poissons morts protégés par les boîtes boîtes protégées par les vitres vitres protégées par les flics flics protégés par la crainte que de barricades pour six malheureuses sardines... Un peu plus loin le bistro café-crème et croissants chauds l'homme titube et dans l'intérieur de sa tête un brouillard de mots un brouillard de mots sardines à manger oeuf dur café-crème café arrosé rhum café-crème café-crème café-crime arrosé sang !... Un homme très estimé dans son quartier a été égorgé en plein jour l'assassin le vagabond lui a volé deux francs soit un café arrosé zéro franc soixante-dix deux tartines beurrées et vingt-cinq centimes pour le pourboire deu garçon. Il est terrible le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes, Des jours heureux quand nous étions amis, Dans ce temps là, la vie était plus belle, Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Tu vois je n'ai pas oublié. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Les souvenirs et les regrets aussi, Et le vent du nord les emporte, Dans la nuit froide de l'oubli. Tu vois, je n'ai pas oublié, La chanson que tu me chantais... C'est une chanson, qui nous ressemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Nous vivions, tous les deux ensemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Et la vie sépare ceux qui s'aiment, Tout doucement, sans faire de bruit. Et la mer efface sur le sable, Les pas des amants désunis. Nous vivions, tous les deux ensemble, Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais. Et la vie sépare ceux qui s'aiment, Tout doucement, sans faire de bruit. Et la mer efface sur le sable, Les pas des amants désunis...
Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit seize... Répétez ! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize Mais voilà l'oiseau-lyre qui passe dans le ciel l'enfant le voit l'enfant l'entend l'enfant l'appelle : Sauve-moi joue avec moi oiseau ! Alors l'oiseau descend et joue avec l'enfant Deux et deux quatre... Répétez ! dit le maître et l'enfant joue l'oiseau joue avec lui... Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu'est-ce qu'ils font ? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et ils s'en vont. Et l'enfant a caché l'oiseau dans son pupitre et tous les enfants entendent sa chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s'en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux un à un s'en vont également. Et l'oiseau-lyre joue et l'enfant chante et le professeur crie : Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les autres enfants écoutent la musique et les murs de la classe s'écroulent tranquilement. Et les vitres redeviennent sable l'encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau.
Je suis allé au marché aux oiseaux Et j'ai acheté des oiseaux Pour toi mon amour Je suis allé au marché aux fleurs Et j'ai acheté des fleurs Pour toi mon amour Je suis allé au marché à la ferraille Et j'ai acheté des chaînes De lourdes chaînes Pour toi mon amour Et puis je suis allé au marché aux esclaves Et je t'ai cherchée Mais je ne t'ai pas trouvée mon amour.
Je suis comme je suis Je suis faite comme ça Quand j'ai envie de rire Oui je ris aux éclats J'aime celui qui m'aime Est-ce ma faute à moi Si ce n'est pas le même Que j'aime chaque fois Je suis faite comme ça Que voulez-vous de plus Que voulez-vous de moi Je suis faite pour plaire Et n'y puis rien changer Mes talons sont trop hauts Ma taille trop cambrée Mes seins beaucoup trops durs Et mes yeux trop cernés Et puis après Qu'est-ce que ça peut vous faire Je suis comme je suis Je plais à qui je plais Qu'est-ce que ça peut vous faire Ce qui m'est arrivé Oui j'ai aimé quelqu'un Qui quelqu'un m'a aimée Comme les enfants qui s'aiment Simplement savent aimer Aimer aimer Pourquoi me questionner Je suis là pour vous plaire Et n'y puis rien changer.
A Elsa Henrique Peindre d'abord une cage avec une porte ouverte peindre ensuite quelque chose de joli quelque chose de simple quelque chose de beau quelque chose d'utile pour l'oiseau Placer ensuite la toile contre un arbre dans un jardin dans un bois ou dans une forêt se cacher derrière l'arbre sans rien dire sans bouger... Parfois l'oiseau arrive vite mais il peut aussi bien mettre de longues années avant de se décider Ne pas se décourager attendre attendre s'il le faut pendant des années la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau n'ayant aucun rapport avec la réussite du tableau Quand l'oiseau arrive s'il arrive observer le plus profond silence attendre que l'oiseau entre dans la cage et quand il est entré fermer doucement la porte avec le pinceau puis effacer un à un les barreaux et ayant soin de ne toucher aucune des plumes del'oiseau faire ensuite le portrait de l'arbre en choisissant la plus belle de ses branches pour l'oiseau peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent la poussière du soleil et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter Si l'oiseau ne chante pas c'est mauvais signe mais s'il chante c'est bon signe signe que vous pouvez signer alors vous arrachez tout doucement une des plumes de l'oiseau et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.